Mon Histoire - Partie 2

Dans la langue suédoise, lagom est un mot qui désigne le sens de la mesure. Le fait d’en faire assez sans jamais devoir en faire de trop. En Suède, les restaurants servent des portions lagom, on exprime ses émotions lagom, on a des opinions lagom, on est poli lagom. On vit lagom. Ce sens de la mesure a exercé sur lui une sorte d’attirance révulsée. Avant, il aurait voulu vivre absolument et intensément, sans jamais pouvoir y parvenir. Et voilà qu’il arrivait dans une société qui avait élevé la tempérance en vertu populaire. Il trouvait ça salement fascinant.

Johanna l’avait pourtant prévenu. C’était elle qui lui avait donné ses premières leçons de suédois. Pendant un an, il a passé ses mercredis soirs à essayer d’apprendre cette langue. Au début, il pensait qu’il ne comprendrait jamais cet assemblage ésotérique de sons mais au fur et à mesure, ces mêmes sons ont commencé à avoir un sens, les phrases ont commencé à signifier des choses de plus en plus complexes et de plus en plus fines. La mélodie particulière de cette langue scandinave est devenue une chanson douce.

Cette chanson, il ne la comprenait tout de même pas si bien lors de son arrivée. Alors, on lui a parlé en anglais. Utiliser l’anglais en Scandinavie présente l’avantage d’offrir un terrain linguistique neutre où tout le monde peut se comprendre. Cela présente néanmoins l’inconvénient majeur de ne pas totalement arriver à se fondre dans cette société. De ne pas avoir une vraie expérience humaine. C’est comme si on y plongeait avec une combinaison étanche et des bouteilles. Au moins, il savait qu’il ne se noierait pas.

L’attendre a duré trois heures avant qu’il puisse enfin régler les formalités de son arrivée. Après, il a été livré à son propre sort. Seul, dans une étrangère sans savoir où dormir. Heureusement, des lits étaient encore disponibles dans l’auberge de jeunesse locale. Il s’agissait d’un ancien train de nuit qui avait été laissé sur une voie de garage et qui avait été transformé en auberge. Il y a donc passé sa première nuit suédoise. Pour la première fois depuis longtemps, il ne pensait plus ; il vivait. Il était allongé sur son lit, seul dans son compartiment et tellement de choses passaient en même temps dans son esprit qu’il en était encombré. De surchauffe, il s’est endormi. Le réveil a été machinal. Le déjeuner également. Il regardait tout le monde avec de grands yeux ahuris et se sentait bien seul. Pour rien au monde, il n’aurait pourtant voulu échanger sa place avec quiconque. Le lendemain, un employé de l’université parlant un anglais faussement britannique lui a renseigné un logement situé dans une autre ville plus au nord sur la côte.